Fait rare, cette année, les Pâques catholique et orthodoxe tombent presque en même temps que la fête juive de Pessah. Le lundi de Pâques, après la fin de Pessah, le Pape François est mort.
Maison des examens
Depuis la station du RER B Laplace, je m’approche de la Maison des examens à Arcueil. J’avance sous le ciel gris menaçant et le vert clair des châtaigniers environnants, qui fleurissent petit à petit. Ma mère compare toujours les feuilles de châtaigniers en avril à des petits chiots – des boxers, comme Pepsi, la chienne que ma grand-mère avait en Roumanie.
Le bâtiment blanc est immense. J’ai peur d’entrer. Les fenêtres sont nombreuses, petites, rectangulaires, plus hautes que larges. Elles sont toutes pareilles. Un mur qui sépare l’entrée de la chaussée. Debout, en contre-plongée, je regarde les grandes lettres, capitales, sur la façade:
MAISON D’EXAMENS
C’est là que j’avais passé tous mes concours. Souvenirs de sueurs froides aux temps des cerises. Je n’avais jamais remarqué les similitudes entre ce bâtiment et l’horrible immeuble brutaliste de Bucarest où j’habitais enfant. La ressemblance me frappe immédiatement après le récent voyage que mon ami F et ma famille y avons fait pour Noël de l’’année dernière. Nous avions si faim que nous avons mangé de la neige. Nous avions si faim que nous avons mangé de la neige. La neige est devenue noire. Puis F est mort.
J’entre dans le bâtiment par une fissure dans le mur. J’avance dans les couloirs sombres. Sur l’une des portes fermées, une reproduction du tableau Le sacrifice Sacrifice d’Abraham, de Rembrandt, est collée avec de la Patafixe. Sans cadre. Je continue d’avancer, je me dirige vers une salle où a lieu un cours sur Kafka. Je suis très en retard, mais on me laisse entrer.
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La salle est remplie de gens respectables : des universitaires, des psychanalystes... Personne dans la salle ne parle l’allemand. Personne sauf moi. J’écoute, je me tais, soucieuse de ne pas attirer l’attention sur moi encore plus. Je veux regarder l’heure mais j’’ai perdu ma montre. C’était le cadeau que mon père avait offert à ma mère pour ses quarante 40 ans et que mes parents m’ont offert pour mes quarante 40 ans à moi.
Dans la salle, tous les bureaux sont vides, tout le monde écoute le professeur. Personne ne dit rien, mais je sais que quelqu’un m’accuse d’avoir volé son ordinateur lors d’un seder de Pessah. Je me souviens de l’os et de l’œuf. N’avions-nous d’ailleurs pas oublié l’eau salée ?
Je ne me souviens pas de l’ordinateur.
J’ai faim. Je trouve une datte séchée au fond de ma poche de pantalon, tout est collant entre mes doigts. Je glisse la datte dans ma bouche. J’espère que personne ne m’a vue. J’ai encore faim. Je fouille dans ma poche, j’y trouve une amande collante. Si je la mange, le bruit de mes dents qui la broient risquerait d’éveiller les soupçons. Je décide de ne pas manger l’amande. J’ai faim.
Je reçois des SMS : la police va arriver si je ne rends pas l’ordinateur. J’ai peur. Je n’ai pas volé l’ordinateur.
Des oiseaux chantent sur les branches des châtaigniers. Un train s’arrête, puis il repart de la station Laplace.
À la fin du cours, je lève la main. Il me semble quand même important de clarifier que das Gericht signifie à la fois « le tribunal » et le « le plat ».